Prologue
Il y a fort longtemps de cela, le monde fut divisé en deux. Le nôtre et celui d’Amaruma.
Amaruma est partagé en trois territoires .Le Dir, situé dans une vallée : c’est là que sont regroupées les villes. Ses habitants, les Dirriens possèdent un empereur.Le Nir est localisé sur des plateaux venteux. Ses habitants, les Nirriens, vivent dans de petits villages isolés où ils chassent, et élèvent des moutons. Ils sont calmes et pacifiques. Les Nirriens sont souvent dirigés par un conseil de druides. Et enfin la forêt. Ses habitants ont un caractère méfiant. Ils sont appelés Arbiens. Leurs structures politiques diffèrent les unes des autres. Les Dirriens et les Nirriens ont généralement peur de s’aventurer dans la forêt à cause des bêtes sauvages qui y rôdent.
Le départ
C’est la saison sèche sur les plateaux du Nir. Lara court dans les herbes hautes. Ses longs cheveux nattés retombent sur sa veste en cuir. Elle ralentit. Là, juste devant, se tient une verbouisse. L’oiseau au plumage coloré boit dans une flaque d’eau claire. Lara s’allonge au sol, sort son poignard du petit foureau de peau qui pend à sa ceinture. Elle regarde le soleil, dans quelques secondes, elle bondira sur sa proie. Ses muscles d’adolescente se tendent. Soudain le soleil se reflète dans la flaque, la verbouisse est éblouie. En une fraction de seconde, Lara bondit, saisit son poignard et retombe comme un chat sur la verbouisse qu’elle égorge. Le sang violet commence à couler. Vite, elle prend son outre et, d’une main experte, récupère le sang. Sa mère sera contente. La main bronzée de Lara ramasse l’oiseau mort, le range dans sa besace. Elle cherche ensuite dans les herbes sèches.
Les cinq œufs écarlates rejoignent l’outre et la verbouisse dans la besace. Lara décide de rentrer directement chez elle : demain, il faudra partir.
Pour un an.
Pour longtemps.
Trop longtemps.
Le chemin descend vers un petit village de pierre. Toutes les maisons comptent un enclos à brebis. Lara se dirige vers une maison isolée du village.
« Lara ! »
Quelqu'un a crié ; l’adolescente se retourne et voit courir vers elle une fillette de huit ans aux cheveux roux et aux yeux bleus comme l’eau d’une rivière.
« Dami ! Que fais-tu là ? Ta mère va s’inquiéter.
- Lara, je ne veux pas que tu partes, je veux que tu restes.
- Ne pleure pas. Le conseil des druides m’a désignée comme la snara, je dois donc mener à bien ma mission.
- Pourquoi toi ?
- Les druides ont dit que Snoia la déesse du voyage voit en moi la personne idéale pour ce rôle.
- Mais tu vas faire quoi dans la vallée du Dir?
- Je vais étudier pour pouvoir vous transmettre mon savoir. Allez, viens, je te raccompagne chez toi.
- D’accord. »
Elles vont donc chez Dami.
« Dami! Lara, merci tu me la ramènes seine et sauve. »
La femme qui a parlé est aussi rousse que sa fille.
« Il faut que je rentre maintenant.
- Bonne journée ! Et n’oublie pas de passer mes amitiés à Brina. »
- D’accord, je donnerai tes amitiés à maman.
En rentrant chez elle, Lara est surprise de ne trouver personne dans la maison à pièce unique. Mais elle ne s’inquiète pas et déplume sa verbouisse. Puis comme il n’y a toujours personne, elle allume le feu dans le four et commence à préparer l’oiseau. Elle verse le sang dans un plat en terre, casse les œufs et mélange le tout. Une fois la sauce prête, elle la verse sur la volaille et fait glisser le plat dans le four.
« Ah, tu es rentrée.
- Oh, maman, je me demandais où tu étais passée !
- J’étais avec Bilow. Il avait besoin d’aide pour trier ses brebis. En échange de ce petit service, il m’a donné de la laine. Je la laverai et la filerai. »
La grande femme n’a rien de sa fille. Elle est blonde et d’apparence plus fragile que Lara qui est brune et musclée. Mais quiconque a déjà vu Brina et voit Lara sait de qui elle est la fille.
« Mets-toi à table. »
L’adolescente pose les deux assiettes qu’elle portait sur la table.
« Oh, par tous les dieux, tu dois avoir faim. Je vais te faire un petit quelque chose à manger.
- C’est déjà prêt, maman, répond la jeune fille en posant son plat chaud sur la table.
- Ma chérie. Je... Tu… Enfin tu dois être fier de la tâche qui t’est confiée. »
Le sourire de Lara disparaît instantanément de son visage rieur. Pourquoi sa mère gâche-t-elle son dernier instant de bonheur ?
« Ne fais pas cette tête de cochon... Je voulais juste te dire que tu ne dois pas aller dans la forêt.
- Je vais dans la vallée du Dir, pas dans la forêt. Tu le sais bien. Et puis pourquoi cherches-tu à m’en éloigner ? Je crois que j’ai compris que mon père y était ». Lara parle fort, les larmes lui montent aux yeux.
« Je ne crois pas que retrouver ton père serait une bonne idée. Il n’a jamais su que tu étais née. Et…
- Je m’en fiche. Je me fiche de qui est mon père. Je me fiche d’où il est, je le retrouverai. J’en fais le serment.
- Ce serait aussi idiot que de demander à une verbouisse d’aller chercher un bâton. »
Lara se lève brusquement et se dirige vers la porte. Une fois devant, elle se retourne et dit :
« Je dois partir à l’aube et toi tu me demandes de ne pas aller dans la forêt. La vérité, c’est que je suis un accident, et que tu n’as jamais aimé mon père. »
Sur ces paroles, elle sort. Brina reste muette, si seulement sa fille comprenait le danger que représente la forêt. De plus, elle n’a jamais voulu aborder le sujet de son père. Certes, grandir entourée seulement d’une mère et de deux brebis n’a pas dû être facile pour Lara, mais elle a toujours été heureuse.
Lara marche sur le petit chemin qui mène au plateau. Sur son passage, les gens tournent la tête et lui jettent des regards étonnés ; elle s’en moque. Pour eux, elle aurait dû gentiment passer sa dernière journée au village avec sa mère. Mais ils ne savent pas. Ils ne comprennent pas. Personne ne peut comprendre. Pourquoi sa mère s’obstine-elle tant ? Pourquoi ne veut-elle pas lui dire qui est son père ?
Lara est enfin arrivée au plateau. Là, elle s’allonge, ferme les yeux et écoute. Au loin, elle entend le galop d’une horde de chevaux. Ils appartiennent sûrement à des brigands. Mais qu’a-t-elle à craindre ? Elle n’a rien de précieux. Pourtant, le bruit ne cesse de se rapprocher. Soudain, Lara comprend, les brigands veulent attaquer le village. Alors, rassemblant tout son courage, elle se lève et se plante, les mains sur les hanches au milieu du chemin. Le cavalier de tête ralentie.
« Pousses-toi de là, petite !
- Oh que non je ne me pousserais pas !
- Vous avez entendu : Je ne pousserais pas ».
Le brigand a imité la voix de Lara.
« Moquez vous ! Mais pour avancer, il faudra me passer sur le corps. »
Le chef fait un signe à ses camarades et deux d’entre eux descendent de cheval. Lara se rend soudain compte de l’absurdité de ce qu’elle vient de dire. Comment elle, du haut de ses treize ans, pourrait-elle vaincre ces truands sanguinaires ? Mais il est trop tard pour faire marche arrière. Les deux hommes qui avancent dangereusement vers elle sortent de leur ceinture des épées longues comme leurs avants bras. À son tour, Lara fléchit les jambes, prête à bondir, et sort son modeste poignard de sa ceinture. Les deux hommes, en la voyant si décidée, éclatent de rire. Sans hésiter, elle passe à l’attaque, bondit le plus haut possible et frappe l’un des deux hommes. Celui-ci hurle de douleur tandis que son camarade se prend le pied de Lara dans la figure. Il tombe à la renverse. Le chef comprend que ses hommes pris de surprise n’ont aucune chance de gagner. Il ordonne la retraite et fait demi-tour. Les deux truands seuls à terre, face à une furie, décident de rejoindre leurs compagnons. Ils partent en courant abandonnant leurs montures. Soulagée, l’adolescente décide de garder l’un des chevaux et de rendre sa liberté à l’autre. Elle choisit le plus beau des deux, une jument grise pommelée portant une selle de cuir blanc brodé de gris sur les bords. Lara retire le filet de la tête du deuxième cheval, lui enlève sa selle, lui donne une tape sur le postérieur. Puis elle enfourche la jument et rentre chez elle.
« Je vais t’appeler Plume. »
Au village, tout le monde la regarde, étonné. Où Lara, la fille de la si modeste Brina a-t-elle eu ce magnifique cheval ? Bilow, l’homme le plus riche, le plus cupide du village, aborde Lara d’un ton supérieur malgré sa petite taille
« Où as-tu volé ce cheval ?
- Je ne l’ai pas volé, je l’ai gagné en combattant des brigands qui voulaient attaquer le village.
- Tu me fais rire. Toi, combattre des Brigands ?
- Bilow ! Bilow, j’ai vu les brigands ! Quand j’ai imploré leur pitié, ils m’ont répondu que le village était trop bien défendu. Ils avaient déjà eu affaire à une jeune fille qui leur avait pris un cheval. »
La femme a parlé très vite et Bilow est obligé de croire Lara qui s ‘en va avec les ovations des villageois. En arrivant chez elle, la jeune fille trouve sa mère devant la porte.
« Lara ! Oh, Lara ! Petite imprudente. Te rends-tu compte de l’inquiétude que tu m’as causée ?
- En fait… non. Je pensais plutôt que tu me féliciterai d’avoir mis en fuite des brutes sanguinaires.
- Oh, ma chérie ! Bien sûr que je t’en félicite. Tu as sauvé le village. De plus, tu ramènes un magnifique cheval.
- C’est une jument. Je l’ai appelé Plume. Peut-être que je pourrais l’emmener avec moi demain.
- Oui, ce serait une très bonne idée. Tu ne te fatiguerais pas. »
Elles rentrent dans la maison, la dispute du midi semble oubliée. La journée se termine rapidement au rythme des préparations au départ du lendemain. Le départ doit avoir lieu à l’aube car Snoia est une déesse de jour et ne peut veiller sur les voyageurs la nuit. Les druides ont affirmé que même si le trajet de Lara est long, il est plus prudent de profiter le plus possible des protections divines.
« Es-tu sûr que ton poignard sera utile ? Je pense qu’il donne plutôt une mauvaise impression en ville.
- Maman ! Je ne peux pas m’en séparer. Sans lui nous serions déjà tous mort.
- Oui c’est vrai. Ne veux-tu pas prendre une de mes robes en coton ? J’en ai qui te vont.
- Non ! le coton ce n’est pas pour moi. Tu me vois dans une de tes robes ? »
La mère et la fille sont à genoux devant le sac de voyage de Lara.
« Tu es bien sûre que Plume n’est pas trop brusque pour toi. Nous pourrions très bien l’échanger contre une des juments de Bilow.
- Non ! Bilow a des chevaux idiots, trop fragiles pour un long voyage. Plume, elle a été élevée dans la campagne, à dormir dehors, dans le froid. Elle sera parfaite ».
La nuit arrive vite et il est bientôt l’heure de dormir. Lara et sa mère se couchent de bonne heure. Le moment de se réveiller est vite là. La jeune voyageuse enfile une cape de laine brun clair pour se protéger du froid matinal. Brina et sa fille se dirigent vers la sortie du village où les druides attendent. Ils portent la toge blanche traditionnelle. Quand Lara et Brina arrivent le grand druide s’avance. D’une voix posée, il dit :
« Lara, tu as été désignée par Snoia. Tu vas devoir partir un an dans un monde inconnu. N’oublie jamais où tu es née, ni comment tu es née. Pour que nos dieux te protègent, nous avons décidé de t’offrir ce pendentif. »
Il sort un petit collier de sa manche et le tend à Lara. C’est une femme sculptée dans l’ivoire. Elle est vêtue d’une tunique de tissu, ses cheveux sont tressés et retenus au-dessus de la nuque en chignon. Lara le passe autour du cou.
« Merci.
- Nous allons t’accompagner jusqu’au chemin, mais Brina ne doit pas te suivre. Nous ne parlerons pas. »
Lara se retourne pour embrasser sa mère une dernière fois.
« À Bientôt maman. »
Elle se retourne et suit les druides. La longe de Plume dans la main, elle avance sans un regard en arrière. Arrivée au chemin qui mène dans la vallée, elle découvre que le chemin est impraticable. Un énorme rocher bloque le passage. Le grand druide se retourne et dit :
« Un esprit malveillant a empêché la réalisation du projet de Snoia. Nous allons consulter la déesse pour savoir ce qu’il faut faire. »
Il se retourne et s’agenouille avec les autres druides. Ils restent ainsi plusieurs heures pendant lesquelles Lara doit attendre patiemment. Enfin ils se relèvent. Le grand druide s’approche de Lara.
« Snoia a pris sa décision. Tu partiras faire ton voyage d’étude dans la forêt. À notre grand regret, ta mère ne peut pas donner son accord. De toute façon, elle aurait refusé. Va. Et revien dans un an. Que les dieux t’accompagnent.
- Merci. Je crois que la forêt me convient mieux que la vallée. Je te dis au revoir grand druide.
- Au revoir Lara.
Elle monte sur Plume et, sans un seul regard pour sa terre natale s’en va vers l’inconnue.